La faim du vide : méthodes corporelles et spirituelles au service des anorexiques

La faim du vide : méthodes corporelles et spirituelles au service des anorexiques

La faim du vide par le Dr Jacques Vigne

« L’anorexique a faim de paix, et son traitement de fond sera de l’amener à la trouver »

La faim du vide : méthodes corporelles et spirituelles au service des anorexiques
Couverture du livre « La faim du vide » : méthodes corporelles et spirituelles au service des anorexiques

L’anorexie ou plutôt les anorexies, correspondent à un symptôme de perte de l’appétit. Pouvant devenir chronique, cet état peut conduire à une malnutrition et à des complications avec de lourdes conséquences sur l’état de santé physique et mental.

Autour de ce thème de santé touchant de nombreuses personnes dès l’adolescence, il existe plusieurs thérapies et traitements, qui ne sont pas toujours sans conséquence (comme les antidépresseurs ou neuroleptiques).

Dans cette offre de soin mi-figue mi raisin, des professionnels de santé proposent de s’orienter vers des méthodes non conventionnelles et recherchant l’harmonie du corps et de l’esprit.

Le livre « La faim du vide » du Docteur Jacques Vigne publié en mars 2012 propose justement une réflexion et des pistes pour aspirer à un équilibre harmonieux du corps et de l’esprit. L’objectif est de rééquilibrer « les diverses aspirations des candidats à l’anorexie » et ouvrir les voies d’une paix intérieur comme traitement de fond.

« La faim du vide » est une réflexion en plus de 300 pages sur les rapports entre l’anorexie, le jeûne et la spiritualité. Complémentaire aux publications que proposent la Haute Autorité de Santé sur cette prise en charge classée dans les troubles du comportement alimentaire (TCA).

TCA fréquents, l’anorexie et la boulimie touchent dans 9 cas sur 10 des jeunes filles. « Ce qui peut résumer la conduite anorexique, c’est le fait de refuser l’alimentation, alors même que l’on meurt de faim (anorexie mentale), et de refuser la prise de poids alors même que le corps est amaigri (anorexie mentale et anorexie associée à des crises boulimiques). »

Définition de l’anorexie par l’Inserm : Trouble du comportement alimentaire caractérisé par une peur maladive de grossir, une mauvaise évaluation de son corps et une restriction conséquente de la prise alimentaire.

L’anorexie : une maladie sans vaccin

Dr Jacques Vigne
© Dr Jacques Vigne

Dans son ouvrage, le Docteur Jacques Vigne propose 6 grands chapitres en offrant par exemple de faire « pratiquer aux jeunes anorexiques des techniques de yoga pour nourrir leur manque essentiel et retrouver un juste rapport au corps ».

Psychiatre, le Docteur Jacques Vigne réside depuis une vingtaine d’années en Inde et y mène une expérience d’immersion totale. Considéré comme l’un des grands spécialistes des techniques yogiques de méditation, ce professionnel de santé est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages mêlant données scientifiques et savoirs traditionnels.

Pour saisir la teneur de cet ouvrage très intéressant, voici quelques extraits :

Le rapport de l’être humain avec sa propre faim se joue dans des contextes variés : par exemple, dans le passé, beaucoup de gens ont jeûné pour des raisons valables, et beaucoup d’autres pour des causes pathologiques. Dans l’histoire des religions, le jeûne a été au cœur de nombreuses initiations, à commencer par les expériences chamaniques. Il y a derrière la similarité des mots français « inanition » et « initiation » plus qu’une coïncidence. Par la capacité de jeûner, l’adolescent s’éloigne de l’état de bébé qui ne peut se passer du sein de sa mère pour se diriger vers celui d’adulte capable d’endurer la faim quand il est pris par l’action, par exemple, dans le cas de l’homme, par la chasse ou la guerre.

L’anorexie typique arrive à l’adolescence, un âge où il devrait y avoir normalement des rituels initiatiques, ceux-ci comprenant régulièrement des jeûnes dans les sociétés traditionnelles.

Comme cet aspect rituel est mis de côté dans la société occidentale moderne, est-ce que l’anorexie ne serait pas déjà un retour de ce refoulé-ci ? Par ailleurs, l’anorexique vit de façon encore plus intense un paradoxe typique de l’adolescence : il désire sentir un soutien familial solide, il en a grand besoin, mais en même temps il veut avoir l’impression d’être complètement indépendant. Pour respecter à la fois ces deux tendances, les parents doivent marcher sur la corde raide, comme des funambules, et essayer de faire au jour le jour ce qu’ils peuvent. Chez les garçons, il est moins fréquent que les problèmes d’adolescence se fixent sur une restriction de l’appétit, ils ne représentent peut-être que 10% des cas. Cependant, si l’on regarde les anorexies qui se sont installées à long terme, les chiffres sont sans doute plus élevés, il est bien possible qu’ils montent à 25% chez les hommes, bien que ceux-ci aient moins tendance à consulter et être hospitalisés que les femmes. Ceci a pu perturber l’élaboration de statistiques précises jusqu’ici.

Dans les sites dédiés aux anorexies, qui sont souvent prosélytes dans leur valorisation de la restriction alimentaire (on les appelle pro ana, le terme ana désignant, et en quelque sorte personnalisant, l’anorexie), il y a un mélange de certaines aspirations spirituelles au dépassement de soi par la discipline alimentaire, et de dérapage plutôt dangereux dans le sens d’appels radicaux à la famine volontaire. On peut certes critiquer facilement l’ascétisme naïf de l’anorexique en le taxant de fausse spiritualité, et en mettant le doigt sur un intellectualisme exacerbé qui a peur d’intégrer le corps et les émotions. Cependant il ne faut pas, à mon sens, jeter le bébé avec l’eau du bain, il s’agit d’un départ. Le rôle de l’entourage ou du soignant est d’aider au discernement pour développer une vraie spiritualité. Après tout, nous sommes en face d’adolescentes qui s’essaient pour la première fois à la vie intérieure, elles ont droit à l’erreur , elles ne peuvent pas tout réussir du premier coup. On a souvent relié le mode de pensée des anorexiques loin de leur corps à la mode des modèles des magazines féminins qui se présentent souvent efflanquées. Les anorexiques elles-mêmes démentent en général que leurs troubles soient dus simplement à un effet de mode. Ils ont des racines plus profondes. Une des raisons pour lesquelles elles ne s’identifient pas aux modèles qui participent aux défilés de mode, c’est qu’elles se trouvent elles-mêmes laides à cause de leur maigreur, qui certes peut être bien effrayante. Elles n’ont pas envie d’être séduisantes et elles savent de toute façon qu’elles ne correspondent pas aux canons de la beauté. Il faut cependant noter que les normes édictées progressivement au XXe siècle de la « beauté libérée » qui insistent sur la maigreur excluent la plupart des femmes. Pour celles-ci, ce canon de la beauté représente donc beaucoup plus un carcan qu’une libération.

Il est licite d’évoquer ici la possibilité que les anorexiques vivent dans leur corps un conflit latent ou patent entre la société de consommation et les idéaux chrétiens beaucoup plus ascétiques, qui se sont mis dès le début dans la ligne d’un Christ qui, dit-on, avait jeûné quarante jours dans le désert ; nous y reviendrons dans le chapitre sur le christianisme. J’ai déjà évoqué dans le livre Marcher, méditer la question des ascèses excessives qu’on dénommait épascèse dans l’Église grecque.

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Quel que soit le handicap psychologique des patientes, quel que soit l’embarras des familles, il est important de montrer une lumière au bout du tunnel, et pour cela l’approche spirituelle dans son côté fondamentalement positif a une place de choix. Dans cette perspective, la profondeur de l’individu n’est pas un sac de nœuds, de souffrances, de refoulements, de névroses ou un noyau psychotique, mais s’avère, derrière tout cela, sous tout cela, pure conscience et félicité. Cela est à l’opposé de la vision pessimiste de Freud, que beaucoup de thérapeutes occidentaux ont « avalé » comme un postulat, sans plus de réflexion et sans mot dire. C’est sans doute parce que les Indiens se souviennent confusément au moins de cela, que le taux de suicide chez eux est quatre fois moindre qu’en Occident. Il faut même faire rentrer dans ces statistiques le fait que c’est le plus souvent un groupe très particulier de sujets qui se suicident en Inde : il s’agit des jeunes filles juste avant ou juste après leur mariage. C’est le plus grand changement de leur vie, elles n’ont pas une personnalité suffisamment assurée pour l’affronter et, s’il y a de sérieux problèmes, elles préfèrent à ce moment-là fuir dans la mort volontaire.

Nous avons déjà vu que la définition du spirituel était plutôt vaste, et que c’était au fond bien comme cela. Une spiritualité bien comprise ouvre joyeusement sur l’infini ; en cela elle ne accommode guère des petites boîtes. Par ailleurs, le regard d’un thérapeute sur son patient pour discerner si oui ou non celui-ci a une demande spirituelle est éminemment variable. Je me souviens d’une amie psychanalyste qui avait une trentaine d’années de pratique derrière elle. Au début, quand elle venait me rendre visite en Inde, elle ne s’était jamais intéressée aux questions spirituelles en tant que telles, et me disait avec grande conviction qu’une demande de ce type chez ses patients était très rare, et bien-sûr suspecte des pires névroses. Au fur et à mesure de son évolution intérieure, elle s’est mise à la reconnaître de plus en plus souvent, et a finalement estimé qu’elle était présente chez la majorité d’entre eux. Tout cela est évidemment bien difficile à mettre en statistiques dans un rapport de l’Inserm pour demander des fonds au ministère de la Santé… Mais au fond, n’est-ce pas tant mieux ?

© Blog Nutrition Santé

Références de l’ouvrage : « La faim du vide », Docteur Jacques Vigne, Mars 2012, ISBN : 978-2-35490-075-5, Prix indiqué : 19,90€ – Éditions Du Relié http://www.editions-du-relie.com

Sources